Ce texte a été publié dans Le Soleil.
Lors d’une récente entrevue à Radio-Canada, on demandait aux présidents du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Karl Blackburn, et de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Éric Gingras, si les syndicats étaient encore pertinents en 2023. Cette question revient périodiquement dans l’actualité depuis plusieurs décennies à l’approche de la fête du Travail.
Une récente étude de la firme Angus-Reid vient donner des éléments de réponses à cet égard. En effet, l’organisme de recherche s’est penché sur la perception de la population canadienne à l’égard des syndicats, de même que sur la pertinence de ces derniers et sur les avantages qu’ils représenteraient, tant pour les membres que les non-membres.
Trois personnes sur cinq au Canada seraient d’avis que les syndicats ont un impact positif sur leur vie. Par ailleurs, près de quatre Canadiens et Canadiennes sur dix estimeraient qu’il est avantageux de faire partie d’un syndicat, tandis que 30 % affirmeraient le contraire.
Durant mon parcours professionnel de plus de 20 ans dans une grande organisation syndicale, j’ai pu observer que les sentiments de la population à l’égard des syndicats sont complexes et volatiles. Le scandale de la FTQ Construction, qui avait ébranlé le mouvement ouvrier à la fin des années 2000, avait provoqué un haut-le-cœur au Québec, tant chez les membres qu’auprès de la population en général.
D’ailleurs, les conséquences de cette triste histoire se font encore sentir près de 10 ans plus tard. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter un coup d’œil au livre l’État du Québec de l’Institut du Nouveau Monde (INM) en 2020. On y indiquait que les syndicalistes du Québec étaient parmi les personnes qui inspiraient le moins confiance à la population (25 %), loin derrière les médecins, les groupes communautaires et les entrepreneurs. Dans ce même ouvrage, on mentionnait qu’à peine 40 % des gens faisaient confiance à l’institution que sont les syndicats.
Pour revenir au sondage Angus-Reid, les directions syndicales auront sans aucun doute remarqué que 36 % des femmes déclaraient ne pas se sentir soutenues par leur syndicat. On rappelle ici que celles-ci composaient la majorité de l’effectif syndical (53 %) en 2021, selon Statistique Canada.
Toujours selon Angus-Reid, près de deux personnes non syndiquées sur cinq au Canada seraient favorables (37 %) à la syndicalisation de leur lieu de travail, tandis que 39 % s'y opposeraient. Par ailleurs, bien que les jeunes seraient susceptibles de se joindre à un syndicat dans une proportion de 49 %, les résultats tangibles de cet engouement se font encore attendre sur le terrain.
Durant ma carrière, j’ai croisé un grand nombre de membres qui ne comprenaient pas pourquoi il leur fallait automatiquement adhérer à un syndicat au moment de leur embauche dans une entreprise déjà syndiquée. Plusieurs autres ne savaient même pas à quelle organisation ouvrière ils et elles étaient affiliés. De plus, une quantité non négligeable de ces gens ignoraient l’histoire syndicale et les avantages d’en faire partie, ce que semble confirmer le sondage Angus-Reid : en tenant compte du coût de l'adhésion et des avantages de la syndicalisation, deux membres sur cinq (39 %) affirment ne pas recevoir suffisamment d'avantages en retour des cotisations payées.
Alors, les syndicats sont-ils encore pertinents en 2023? MM. Blackburn et Gingras ont droit à leurs opinions, mais pour dire les choses franchement, les syndicats - et le syndicalisme - n’appartiennent à personne d’autre qu’aux membres et c’est à eux et à elles à répondre à cette question. Mais puisque le taux de syndicalisation stagne au Canada depuis un bon moment, on pourrait croire que les travailleuses et les travailleurs n’en sont pas convaincus.
C’est la raison pour laquelle les leaders syndicaux doivent s’assurer de porter fidèlement la voix de leurs membres, de faire les batailles qui sont chères à leurs yeux et de les défendre avec empressement contre les employeurs lorsque c’est nécessaire. Plus important encore, les directions syndicales doivent s’assurer d’être représentatives de notre société multiculturelle, tout en veillant à ce que la mobilisation demeure au cœur de toutes leurs actions.
Dans le cas contraire, les syndicats et les centrales seront confrontés à un vent de droite qui voudra mettre en place des lois qui ne leur sont pas favorables, ce qui fera plonger dramatiquement leurs effectifs syndicaux, comme ce fut le cas aux États-Unis dans les dernières décennies.
Photo : Nicholas Mageras
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