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  • Photo du rédacteurStéphane Lacroix

Faut-il sauver le syndicalisme ?

Qui ne se souvient pas de l’excellent film « Il faut sauver le soldat Ryan » dans lequel une escouade de soldats alliés, interprétés par une brochette de comédiens talentueux, partait à la recherche du soldat James Ryan, dont les trois frères étaient morts au combat durant la Seconde Guerre mondiale ?

 

Les huit soldats à qui on a confié cette mission se demandent, au fur et à mesure qu’ils affrontent des dangers, si risquer leur vie pour sauver une seule personne en vaut réellement la chandelle.

 

Étrangement, l’histoire du soldat Ryan m’a fait penser à l’état du syndicalisme en 2024.

 

Dans la foulée des grèves dans le secteur public, on aura remarqué que le taux de participation des membres aux assemblées syndicales était, dans bien des cas, inférieur à 50 %. C’est aussi le cas dans d’innombrables autres unités d’accréditation au privé ou dans le secteur public.

 

Le syndicat de l’enseignement de la Haute-Yamaska (SEHY), affilié à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), rapportait avoir compilé 569 votes pour, 556 contre, et 9 abstentions lors de l’assemblée ultime, pour un total de 1134 personnes ayant voté… sur 3000 membres, comme le rapportait le Soleil. C’est donc moins de 40 % du personnel enseignant syndiqué qui aurait exprimé sa voix dans l’optique de rejeter ou de ratifier cet important contrat de travail.

 

Cette convention collective acceptée par la peau des dents n’est pas une bonne nouvelle pour le syndicat (qui n’aura pas été en mesure de réaliser des gains suffisants pour faire taire la grogne), pour les membres (certains reprocheront à leurs collègues de ne pas avoir participé à l’assemblée) et pour le gouvernement (qui se retrouve avec des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes syndiquées en colère).

 

Un vote en défaveur de cette entente de principe aurait pu ramener les pourparlers au point de départ et forcé le syndicat à reprendre les négociations, avec les risques que cela comporte.

 

En réalité, c’est le pire scénario qui s’est produit. En acceptant le contrat de travail à seulement 50,58 %, ces membres ont involontairement montré que le mouvement ouvrier est désuni et vulnérable.

 

 

Miné de l’intérieur

 

Le manque d’intérêt de travailleuses et des travailleurs pour leur syndicat ne date pas d’hier. Cette érosion existe depuis des décennies, en fait depuis les années 80.

 

Pendant les Trente Glorieuses, les personnes syndiquées ont amélioré de manière substantielle leurs conditions de travail et, par ricochet, leur qualité de vie et celle de leur famille. Les batailles menées au Québec par les enseignantes, les fonctionnaires et par d’autres groupes du secteur privé dans les années 60 et 70 ont permis un enrichissement individuel inédit dans l’histoire de la province.

 

Par la suite, les décrets du gouvernement péquiste en 1982 et 1983 ont imposé aux fonctionnaires, enseignantes, personnel soignant et autres métiers, des reculs marqués dans leurs conditions de travail. Bien que des grèves aient été déclenchées, tous ces gens syndiqués ont vite conclu que l’affrontement avec le gouvernement ne tournerait pas à leur avantage.

 

Les défaites des années « 80 laisseront un goût amer et deviendront une excuse commode que certains travailleurs invoqueront pour justifier leur éloignement du mouvement syndical.

 

N’ayant pas vécu les grandes batailles des années 60, 70 et 80, les nouvelles générations arrivées sur le marché du travail après 1985 ont progressivement remis en question la pertinence des syndicats. Tous les acquis majeurs ayant été soi-disant obtenus, pourquoi payer des cotisations syndicales, dira-t-on ?

 

Dans les années » 90 et 2000, les contrats de travail sont arrivés à maturité avec tout ce que ça implique. Les délocalisations, l’optimisation des tâches, le déploiement de technologies et l’automatisation sont venus ajouter une couche de cynisme chez les membres convaincus que leurs syndicats n’en faisaient pas assez.

 

 

De nos jours, des membres reprochent une certaine opacité lorsque vient le temps d’élire les gens qui composent les directions syndicales. Plusieurs se désolent aussi que le visage multiculturel du Québec ne soit pas reflété dans leur syndicat. D’autres encore se questionnent sur la reddition de comptes ou sur les affiliations politiques informelles ou avérées de leur syndicat.

 

Mais se plaindre de son syndicat ou de sa centrale est facile ; s’y impliquer pour changer les choses l’est beaucoup moins.

 

Durant ma carrière, j’ai souvent répété la même phrase aux membres qui se plaignaient de ceci ou de cela : si t’aimes pas ce que tu vois dans ton syndicat, implique-toi ! Malheureusement, leur réponse était souvent un haussement d’épaules.

 

Alors, faut-il sauver le syndicalisme, me demandez-vous ?

 

Peut-être que l’élection d’un gouvernement fédéral de droite viendrait donner l’électrochoc nécessaire à un mouvement ouvrier désuni, affaibli et déserté par une partie de ses membres, qui sait ? Il faut parfois toucher le fond avant de pouvoir finalement remonter à la surface…



Stéphane Lacroix a été directeur des communications d’un syndicat canadien pendant plus de 20 ans avant de devenir consultant en relations publiques et en gestion de crise.

 

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