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On n’eteint pas un incendie en l’arrosant d’essence

Photo du rédacteur: Stéphane LacroixStéphane Lacroix

Dernière mise à jour : 12 mars

Stéphane Lacroix a œuvré plus de 20 ans comme directeur des communications d’un syndicat canadien. Il est désormais expert-conseil en relations publiques et en gestion de crise.


Donald Trump est une crise en constante évolution. Et il doit être géré comme telle : avec sang-froid, mais décisivement.


D’abord, c’est quoi une crise? C’est un événement, ponctuel ou permanent, qui change à tout jamais des vies, la société, une sphère d’activité. Les attaques d’avions sur les tours jumelles à New York constituent une crise. Idem pour la catastrophe de Lac-Mégantic. Ces deux tragédies ont changé à jamais des milliers, voire des millions de vies.


Trump n’est pas un politicien. Encore moins un milliardaire. Mais c’est un maître dans l’art de créer le chaos médiatique. On le sait, il ne cherche pas à convaincre avec des faits, mais à tirer les gens sur son propre terrain de jeu en saturant l’espace public. Chaque sortie est calibrée pour capter l’attention, chaque provocation est une invitation à la réaction.


Plus on parle de lui, plus il gagne du terrain.


Et c’est là que le piège se referme. Parce qu’en voulant le combattre, on finit souvent par amplifier son message. Les médias tombent dedans à chaque fois. Ils déconstruisent ses fausses affirmations ? Il rebondit avec une nouvelle polémique. On dénonce ses dérapages ? Il joue la carte du martyr face à « l’élite corrompue ». Tout le monde suit son tempo.


Comment briser ce cycle infernal ?


En refusant d’être aspiré dans son tourbillon, on peut brise ce cercle vicieux. Il ne s’agit pas d’ignorer Trump – il est trop influent pour ça – mais d’arrêter de jouer selon ses règles. On n’éteint pas un incendie en l’arrosant d’essence. Plutôt que de commenter chacun de ses dérapages, il faut imposer un contre-discours clair, mobilisateur et, surtout, capable de captiver sans être dans la réaction perpétuelle.


Voici deux exemples  qui illustrent ma théorie à ce sujet :


Exemple 1 : Déjouer la provocation


En 2017, après la tragédie de Charlottesville où des suprémacistes blancs ont défilé avec des torches et scandé des slogans racistes, Trump a déclaré qu’il y avait des « gens très bien des deux côtés ». Le tollé a été immédiat, mais la couverture médiatique s’est concentrée principalement sur ses déclarations scandaleuses plutôt que sur l’enjeu fondamental : la montée du suprémacisme blanc aux États-Unis.


Une réponse plus stratégique aurait été de décaler le débat encore plus, non pas sur l’indignation face aux paroles de Trump (ce qu’il cherchait), mais sur les politiques à mettre en place pour contrer l’extrémisme violent. Plutôt que de nourrir la controverse, l’opposition aurait pu orchestrer une offensive médiatique en mettant en avant des victimes du terrorisme intérieur, des experts en sécurité nationale et des élus proposant des mesures concrètes. Résultat ? Trump aurait été court-circuité et forcé de réagir sur un terrain qu’il ne maîtrise pas : la gestion réelle des menaces sécuritaires.


Exemple 2 : Créer une trame narrative différente


Quand Trump a répété que l’élection présidentielle de 2020 lui avait été volée, la plupart des médias et des démocrates ont passé des mois à démonter méthodiquement ses allégations, à coup de vérifications des faits. Or, pendant ce temps, il imposait son point de vue et fidélisait sa base.


Une stratégie plus efficace aurait été de déplacer l’attention vers l’héroïsme du personnel électoral et des juges conservateurs qui ont rejeté ses poursuites. Plutôt que de se focaliser sur les mensonges de Trump, l’idée aurait été de raconter une histoire forte : celle des états-unien-nes ordinaires qui ont défendu la démocratie malgré les menaces. Des campagnes auraient pu être montées pour donner un visage à ces personnes, en diffusant leurs témoignages et en créant un mouvement en ligne autour du courage de ces personnes.


Ce changement de perspective aurait dévalorisé Trump, non pas en le contredisant frontalement (ce qui renforce son image de rebelle contre le système), mais en montrant une réalité plus forte et plus mobilisatrice que son récit de fraude électorale.


Trump a compris une chose essentielle : les émotions frappent plus fort que les faits. Il ne se contente pas de parler, il raconte une histoire. Et c’est justement là que la riposte doit s’organiser : en racontant une histoire différente,  positive et plus forte. Parce qu’on ne combat pas un narratif avec des chiffres ou des analyses savantes, mais avec un message ancré dans le réel quotidien des gens, donc plus puissant.


Ça passe par des leaders courageux, crédibles et charismatiques (ce que les forces progressistes n’ont pas en ce moment), des voix influentes capables de toucher les électrices et électeurs indécis. Par des stratégies numériques agressives, qui ne laissent pas tout l’espace médiatique aux propagandistes. Par une occupation du terrain médiatique, qui empêche Trump et ses relais d’imposer leur débat.


Ce combat n’est pas juste idéologique. Il est stratégique. Il est fondamental. Il est viscéral.


Moralité ? Chaque fois que Trump lance une polémique, la vraie question n’est pas comment lui répondre, mais comment imposer un autre cadre, une autre histoire, un autre enjeu qui mobilise plus que lui.


Et un dernier message pour mes ami-es des médias : ce n’est pas en publiant 407 chroniques, éditoriaux et lettres d’opinions qui disent fondamentalement la même chose, au même moment, qu’on change quoi que ce soit au problème.

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