La maternité et la tarte aux pommes syndicales
- Stéphane Lacroix

- 28 nov.
- 2 min de lecture
Ex-syndicaliste, l’auteur est expert-conseil en relations publiques, en gestion de crises et en stratégie chez Lacroix relations publiques.
Ce texte est paru dans le Devoir le 28 novembre 2025.
Lorsque je suis devenu le directeur des communications de Teamsters Canada au tournant des années 2000, son président, le légendaire Robert Bouvier, m’a donné une seule consigne à laquelle je ne devais jamais déroger : lorsqu’on prend la parole sur la place publique, il faut se placer dans une position « maternité et tarte aux pommes », c’est-à-dire, inattaquable.
Son but était de « peinturer dans le coin » les adversaires politiques ou patronaux dès le début d’une campagne de relations publiques et, ce faisant, marquer des points auprès de la population avant même que la partie commence.
Cette approche à la fois infaillible et d’une profondeur stratégique insoupçonnée me sert admirablement bien depuis plus de 25 ans et devrait inspirer les têtes dirigeantes syndicales d’aujourd’hui.
Le ton belliqueux
Ce qui oppose actuellement les centrales syndicales au gouvernement Legault autour du projet de loi 3 révèle un paradoxe troublant. Alors que le fond du débat porte sur des enjeux démocratiques majeurs — la liberté d’association, le rôle des contre-pouvoirs, l’autonomie syndicale —, c’est la forme qui monopolise beaucoup l’attention médiatique. Le ton « belliqueux », les refus de serrer des mains, les accusations de « dictature » : voilà ce dont on discute, pendant que les véritables enjeux cèdent le pas aux coups de gueule.
Ce faux pas dans l’approche syndicale n’est pas qu’une question d’étiquette parlementaire. Elle représente une erreur stratégique qui pourrait leur coûter cher.
D’abord, le rapport de force invoqué par les têtes dirigeantes ouvrières ne correspond pas à la réalité mesurée. Les sondages indiquent que près de 48 % de la population estime que les syndicats ont déjà trop de pouvoir, et que 81 % souhaitent plus de transparence dans leurs dépenses. Dans ce contexte, brandir la menace d’une « grève sociale » pour « paralyser le Québec » ne ressemble pas à une mobilisation citoyenne large, mais bien à un coup de force corporatiste.
Et les gens détestent le corporatisme.
Faire vibrer la population
Le plus préoccupant demeure l’absence d’illustration concrète des enjeux pour le citoyen ou la citoyenne moyenne. Parler de « contre-pouvoirs », d’« ingérence » ou de « cotisation facultative » reste abstrait pour la personne qui ne s’intéresse pas de près à son syndicat. Où sont les histoires qui montrent ce que les Québécoises et les Québécois perdraient concrètement si les syndicats ne pouvaient plus contester les politiques publiques ?
Le mouvement syndical québécois a historiquement excellé dans la défense des droits des travailleurs et travailleuses, contribuant à l’édification de notre système social et de nos services publics. Malheureusement, il privilégie aujourd’hui l’indignation sur la pédagogie et la menace sur l’argumentation, ce qui risque de lui faire perdre cette importante bataille, tant dans l’opinion publique que sur les plans stratégique et politique.
La question n’est pas de renoncer à la fermeté, mais d’être efficace et de faire vibrer la population avec une position contre laquelle personne ne peut s’opposer. La fameuse approche « maternité et tarte aux pommes » de Robert Bouvier.
Autrement, cette croisade ouvrière risque d’être perdue avant même d’avoir vraiment commencé.



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