Les syndicats ont raison de se fâcher
- Stéphane Lacroix

- il y a 2 jours
- 3 min de lecture

Cette lettre d'opinion est parue dans le Journal Les Affaires
Dans une chronique de Kevyn Gagné parue dans Les Affaires le 28 octobre, on reproche aux syndicats d’être « facilement scandalisés » et de refuser de voir la réalité économique telle qu’elle est.
L’image est commode et percutante. Elle flatte les gens qui aiment penser que la rationalité se trouve toujours du côté des gestionnaires et l’émotivité du côté des travailleuses et travailleurs.
Mais cette analyse est aussi superficielle que réductrice.
Le texte repose sur une équation simpliste : s’il y a cent dollars à partager entre employés, et qu’on en donne plus à l’un, il en restera moins pour les autres. Or, ce n’est pas parce qu’on améliore les salaires ou les conditions de travail qu’on « appauvrit » une organisation. Bien au contraire : on investit alors dans la compétence, la stabilité et l’engagement. Les études le montrent depuis trente ans : des conditions de travail décentes, c’est aussi une meilleure productivité et moins d’absentéisme.
On pourrait affirmer sans se tromper que les personnes syndiquées qui améliorent leur sort dépensent davantage dans les entreprises d’ici (et d’ailleurs, bien entendu). Ce faisant, elles payent plus de taxes et d’impôts. Au final, une partie non négligeable des augmentations de salaire se retrouvent… dans les coffres de l’État. Mais, bizarrement, on s’indigne rarement des augmentations de salaire des dirigeants d’entreprise, des hauts fonctionnaires et de la classe politique.
Chercher les coupables des compressions
Il est faux de prétendre que les compressions dans le secteur public ou parapublic découlent nécessairement de revendications syndicales. C’est plutôt les années de sous-financement, les décisions politiques discutables et la pression constante d’un modèle de gestion centré sur des économies de bout de chandelle qui expliquent en bonne partie ces suppressions d’emplois.
Les syndicats sont sur le terrain. Ils voient les horaires impossibles à gérer, les salaires qui stagnent, la santé mentale qui s’effrite et les fin de mois qui arrivent trop vite pour un bon nombre de personnes qui doivent composer avec un coût de la vie qui explose. Si ça les « scandalise », c’est peut-être parce qu’ils sont encore capables d’indignation dans un monde qui s’accommode un peu trop bien de ces difficultés.
Et qu’on me comprenne bien ici : les syndicats ne sont pas blancs comme neige. Ils ont aussi négocié des contrats de travail douteux au fil des ans. Leur modèle de reddition de compte est peut-être à dépoussiérer et la démocratie syndicale pourrait s’améliorer. Leurs membres auraient aussi intérêt à cesser de hurler sur les réseaux sociaux et s’impliquer concrètement dans leurs assemblées syndicales.
Comme toute organisation ou mouvement social, rien n’est parfait. C’est pour cela que les syndicats tiendront des états généraux l’année prochaine. Ce sera l’occasion pour eux d’avoir une discussion difficile – mais franche – sur les choses à améliorer.
Cessons de faire la leçon
Pour être franc, j’estime que les batailles les plus importantes restent encore à mener pour le mouvement ouvrier. Alors oui, heureusement que les syndicats se fâchent. Parce qu’il faut encore des voix pour rappeler qu’une société ne se construit pas que sur des colonnes de chiffres.
Si nos gouvernements cessaient de lancer notre argent par les fenêtres — pensons à Northvolt, le troisième lien, la cimenterie McInnis ou la visite des Kings de Los Angeles à Québec, notamment — et planifiaient mieux nos grands travaux, on serait peut-être moins tenté de faire la leçon à celles et ceux qui aident les travailleurs et les travailleuses à se sortir la tête de l’eau avec des conditions de travail décentes.
Malgré leurs défauts, le syndicalisme est un contrepoids essentiel afin de maintenir un semblant d’équilibre entre les gens ordinaires comme moi et les riches et puissants.
Bref, les syndicats ont raison de se fâcher.



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