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Que reste-t-il du rapport de force entre les syndicats et les boss?

Photo du rédacteur: Stéphane LacroixStéphane Lacroix

Cette lettre d'opinion a été publiée dans le Journal de Montréal et de Québec.

 

Avec plus de 20 ans d’expérience comme syndicaliste, je ne peux m’empêcher de poser la question : le droit de grève a-t-il encore un véritable sens au Canada?

 

Le 13 décembre dernier, le ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon, a ordonné aux équipes de Postes Canada de reprendre le travail, mettant fin à une grève générale illimitée. Une décision prévisible, mais néanmoins lourde de conséquences. Dès les premiers jours du conflit, il était clair que le gouvernement fédéral interviendrait, même si celle-ci a pris plus de temps que prévu.

 

Quand l’économie parle plus fort que le droit

 

Pendant ce conflit, les groupes patronaux comme le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante ont fait pression, dénonçant des pertes financières importantes et l’impact sur les exportations des PME canadiennes. Du côté des OBNL, on rapportait une chute des dons, qui posait des enjeux financiers importants pour ces organisations qui tirent la plupart du temps le diable par la queue.

 

Les conséquences économiques et sociales pour les OBNL et l’entreprise privée étaient bien réelles.

 

Pourtant, pour les syndicats et leurs membres, il s’agissait d’une question de principe : laisser le processus de négociation collective suivre son cours normal était impératif, autrement, pourquoi se casser la tête à renégocier les contrats de travail?

 

Malheureusement, la grève est une position de plus en plus difficile à défendre dans un contexte où la dissidence est souvent perçue comme un obstacle à la bonne marche de la société.

 

Tolérance zéro pour les grèves « dérangeantes »

 

Que ce soit les débardeurs, les cheminots ou maintenant les factrices, les moyens de pression dans des secteurs dit stratégiques provoquent inévitablement des réactions fortes. Si un arrêt de travail dans une usine passe sous le radar, une grève des chauffeurs d’autobus ou des services postaux devient rapidement intolérable pour le public – surtout lorsqu’elle dure.

 

On en vient à se demander : avons-nous encore la patience pour tolérer la dissidence?

 

D’autant plus que le droit de grève semble désormais subordonné à une règle implicite : il ne faut surtout pastrop déranger, sinon, l’intervention gouvernementale est quasi automatique.

 

Une loi anti-scab inutile?

 

En tout respect pour mes ex-collègues syndicalistes, je dois reconnaître que n’ai pas pu m’empêcher d’être perplexe lorsqu’on a adoptée en grande pompe en juin dernier, cette loi fédérale anti-scab que j’ai qualifié de poudre de pinrlinpinpin politique. Saluée par tous les syndicats et autres organisations progressistes, cette loi n’a pas semblé faire l’objet d’une analyse en profondeur. Pourtant, les signes de son utilité limitée étaient flagrants. Au final, qu’a-t-elle changé, concrètement, dans les conflits de travail sous juridiction fédérale des derniers mois?

 

Rien.

 

Il n’y a pas eu d’embauche de travailleurs ou de travailleuses de remplacement dans le secteur ferroviaire ou dans la livraison de la poste, car c’est le gouvernement lui-même qui a mis fin aux conflits de travail avant que cette loi ne devienne pertinente. Une ironie qui ne manque pas de faire réfléchir.

 

Vers une réforme nécessaire

 

En réalité, le problème est plus vaste. Une réforme en profondeur des lois du travail au Canada et dans ses provinces est indispensable pour rééquilibrer les relations entre le patronat et les syndicats. Mais soyons réalistes : ces changements demanderaient vision, courage et temps. Dans la perspective qu’un gouvernement conservateur soit élu au fédéral en 2025 et que la majorité des gouvernements provinciaux sont de centre-droite dans le meilleur des cas, on voit mal comment on pourrait espérer que les lois de travail pourraient être réécrites. Un peu déprimant pour les syndicats et leurs membres, avouons-le.

 

Alors, je vous pose la question à nouveau : que reste-t-il, vraiment, du droit de grève? Que reste-t-il du rapport de force entre les syndicats et les boss?


Stéphane Lacroix a été directeur des communications d’un grand syndicat canadien et est désormais expert-conseil en relations publiques et en gestion de crise.

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